L’État, dans l’Empire ottoman et en Turquie, a longtemps été décrit comme un modèle d’État fort et unitaire, capable d’imposer de façon unilatérale son ordre et ses règlements à la société. Considéré comme une instance souveraine largement imperméable aux demandes sociales, il a alors été analysé comme l’initiateur et l’acteur principal – sinon unique – des processus de « modernisation » et d’« occidentalisation » que la société a traversé depuis le xixe siècle.
Les paradigmes d’analyse du politique dans l’Empire ottoman et en Turquie
De la dichotomie État/société à la dialectique socio-étatique
Les rapports État-partis comme clé de lecture du politique en Turquie républicaine
Q ue ce corpus comprenne peu d’études relatives aux religions monothéistes, voire à ce que Weber rassemble sous la catégorie de « religions universelles », peut certes frapper avec le recul. C’est qu’une décision de méthode consistant à passer par l’élémentaire commande la perspective durkheimienne et lui confère sa fécondité. Qui plus est, on ne sous-estimera pas sa dimension de couronnement de l’œuvre entière du sociologue : dans les Formes, Durkheim se risque à formuler certaines propositions sur le sens même de la sociologie et sur son rôle au sein des sociétés modernes – non pas seulement comme type de savoir, mais comme transformation des formes de vie, ce qui ne s’avère que si la religion est à la fois éclairée sociologiquement, et relayée par la sociologie dans la fonction sociale qu’elle remplit.
Ci-dessous : Media 7Que ce corpus comprenne peu d’études relatives aux religions monothéistes, voire à ce que Weber rassemble sous la catégorie de « religions universelles », peut certes frapper avec le recul. C’est qu’une décision de méthode consistant à passer par l’élémentaire commande la perspective durkheimienne et lui confère sa fécondité. Qui plus est, on ne sous-estimera pas sa dimension de couronnement de l’œuvre entière du sociologue : dans les Formes, Durkheim se risque à formuler certaines propositions sur le sens même de la sociologie et sur son rôle au sein des sociétés modernes – non pas seulement comme type de savoir, mais comme transformation des formes de vie, ce qui ne s’avère que si la religion est à la fois éclairée sociologiquement, et relayée par la sociologie dans la fonction sociale qu’elle remplit.
Ci-dessous : Media 11Rassemblement spontané Place de la République le 7 janvier 2015, après l’attaque visant la rédaction de l’hebdomadaire Charlie Hebdo.
Ainsi, plutôt que de dissocier les élites sociales et les personnels de l’État, Michael Meeker évoque un « système étatique non officiel22 ». Il décrit comment une « oligarchie sociale régionale d’origine impériale » a pu s’épanouir au contact ou au sein des institutions publiques. Les recherches de Meeker montrent ainsi que les élites locales anatoliennes ont pénétré le système étatique à mesure que l’État ottoman étendait son contrôle sur ses provinces. Elles suggèrent en outre que c’est par leur enracinement dans les sociétés locales que les protagonistes des arènes officielles ont pu se voir reconnaître l’autorité qu’ils prétendaient exercer. Quand des mesures de renforcement du gouvernement central furent adoptées au XIXe siècle, ces élites locales furent capables de s’adapter pour diversifier leurs positions dans le système étatique provincial et central. Si l’on suit les conclusions proposées par Meeker, il y a lieu de considérer que, loin de l’idée d’une dichotomie entre l’État et les « élites » sociales, économiques ou religieuses, ce sont ces « oligarchies sociales régionales » qui ont « négocié et surveillé l’incorporation des terroirs dans le giron de l’État23 », tout en mettant en place des tactiques de pénétration du système étatique provincial et central. Ainsi, les notables trouvent dans l’administration impériale des possibilités de s’allier, ou de s’opposer aux représentants de l’État, afin de pérenniser leurs positions de domination sociale et économique. Jane Hathaway observe le même type de processus à l’œuvre au Caire en analysant comment des personnalités locales ambitieuses cherchaient à obtenir les faveurs du centre impérial en rejoignant des maisonnées (households) de fonctionnaires impériaux, qui, de leur côté, tentaient de pénétrer les maisonnées de grands personnages locaux en y plaçant leurs clients24. Ces initiatives croisées aboutirent à la constitution d’un système étatique ottoman provincial assimilable, selon l’auteur, à un « hybride administratif ».
Nation Turque ! Nous sommes à la quinzième année du début de la Guerre de l’Indépendance. Aujourd’hui c’est la plus grande fête de notre République qui termine sa dixième année.
Bonne fête ! En ce moment, en tant que citoyen de la grande Nation Turque, je vis l’immense joie et l’enthousiasme d’être parvenu à ce jour.
Chers Concitoyens !
Nous avons réalisé de grandes choses en peu de temps. La plus grande de ces œuvres est la République Turque qui a son fondement dans l’héroïsme et la haute culture turcs. Nous devons ce succès à ce que la nation et la glorieuse armée turques ont avancé, la main dans la main, avec décision. Mais ce que nous avons fait nous ne le considérons jamais suffisant. Parce que nous sommes dans la nécessité et la détermination d’en faire encore davantage et de plus grandes choses. Nous hisserons notre pays au rang des nations les plus prospères et les plus modernes. Nous doterons notre nation de la plus grande prospérité, des plus grands moyens de production et des plus grandes richesses. Nous élèverons la culture de notre pays au-dessus du niveau des cultures modernes. Pour cela nous ne mesurerons pas le temps à la vieille aune de la mollesse des siècles précédents, mais à l’aune de la vitesse et du mouvement de notre époque. Nous travaillerons plus que dans le passé. Je ne doute pas de notre succès en cela. Parce que la caractère de la Nation Turque est élevé. La Nation Turque est travailleuse.
1 — Barrington Moore, Social Origins of Dictatorship and Democracy: Lord and Peasant in the Making of the Modern World, Beacon Press, Boston, 1966.
2 — Şerif Mardin, « Center-Periphery Relations: A Key To Turkish Politics? », Daedalus, n° 102, 1973, p. 170.
3 — Metin Heper, The State Tradition in Turkey, Northgate, The Eothen Press, 1985, p. 149. 4 Ibid., p. 16.
4 — Ibid., p. 16.
6 — Ali Kazancıgil, Ergun Özbudun, Atatürk: Founder of a Modern State, Londres, C. Hurst and Company, 1981, p. 48.
7 — Paul Dumont, Mustafa Kemal invente la Turquie moderne, Bruxelles, Complexe, 1983 [nouvelle édition 1997 et 2006].
9 — Şerif, Mardin, « L’influence de la Révolution française sur l’Empire ottoman », Revue internationale des sciences sociales, 119 (1989).
10 — Şerif Mardin, The Genesis of Young Ottoman Thought: A Study in the Modernization of Turkish Political Ideas, Syracuse, Syracuse University Press, 2000.
11 — Donald Quataert, Manufacturing and Technology Transfer in the Ottoman Empire 1800-1914, Istanbul, Isis Press, 1995.
12 — Arnold Reisman, Turkey’s Modernization: Refugees from Nazism and Ataturk’s Vision, Washington D.C., New Academia Publishing, 2006.
13 — Feroz Ahmad, The making of Modern Turkey, Londres, Routledge, 1993, p. 53.
14 — Marc Aymes, « Provincialiser l'empire », Annales. Histoire, Sciences Sociales n°6/2007 (62è année), p. 1328.
15 — Albert Hourani, « Ottoman reforms and the politics of notables », in William R. Polk et Richard L. Chambers (dir.), Beginnings of modernization in the Middle East: The nineteenth century, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 1968, pp. 41-68.
16 — Philip S. Khoury, « The urban notables paradigm revisited », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, vol. 55, n° 55-56, 1990, pp. 215-228.
17 — Suraiya Faroqhi, « Political Initiatives ‘From the Bottom Up’ in the Sixteenth- and Seventeenth-Century Ottoman Empire : Some Evidence for Their Existence », in Hans Georg Majer (dir.), Osmanistiche Studien zur Wirtschafts- und Sozialgeschichte : In Memoriam Vanco Boskov, Wiesbaden, Otto Harrasowitz, 1986, pp. 24- 33 ; Suraiya Faroqhi, « Political Tensions in the Anatolian Countryside around 1600 : An Attempt at Interpretation », in Jean-Louis Bacqué-Gramont et al. (dir.), Türkische Miszellen : Robert Anhegger Festschrift, Istanbul, Divit, 1987, pp. 116-130 ; Suraiya Faroqhi, « Political Activity among Ottoman Taxpayers and the Problem of Sultanic Legitimation (1570-1650) », Journal of the Economic and Social History of the Orient, n° 35, 1992, pp. 1-39; Antonis Anastasopoulos (dir.), Political Initiatives “from the bottom up” in the Ottoman Empire [Actes des Halcyon Days in Crete VII, 9-11 janvier 2009], Réthymnon, Crete University Press, 2012.
18 — Joel S. Migdal, Strong Societies and Weak States, Princeton, Princeton University Press, 1988.
19 — Reşat Kasaba, « A Time and a Place for the Nonstate: Social Change in the Ottoman Empire during the Long Nineteenth Century », in Joel S. Migdal et al., State, Power and Social Forces : Domination and Transformation in the Third World, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 207-230.
20 — Sur le cas turc, voir notamment Yael Navaro-Yashin, Faces of the State : Secularism and Public Life in Turkey, Princeton, Princeton University Press, 2002.
21 — Timothy Mitchell, « The Limits of the State », American Political Science Review, vol. 85, n° 1, 1991, pp. 77- 96 ; Veena Das, Deborah Poole, « State and its Margins: Comparative Ethnographies », in Veena Das, Deborah Poole (dir.) Anthropology in the Margins of the State, Santa Fe, New Mexico, School of American Research Press, 2004, pp. 6-34.
22 — Michael E. Meeker, A Nation of Empire. The Ottoman Legacy of Turkish Modernity, Berkeley / Los Angeles, University of California Press, 2002, p. xxi.
23 — Jean-François Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, coll. L’espace du politique, 2006, p. 272.
24 — Jane Hathaway, The politics of households in Ottoman Egypt. The Rise of the Qazdaḡlıs, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 24.
25 — Ariel Salzmann, Tocqueville in the Ottoman Empire. Rival Paths to the Modern State, Leiden & Boston, Brill, 2004, pp. 87-88.
26 — Murat Metinsoy, « Fragile Hegemony, Flexible Authoritarianism, and Governing from Below: Politicians' Reports in Early Republican Turkey », International Journal of Middle East Studies, vol. 43, n° 4, 2011, p. 699- 719. Voir également Yiğit Akın, « Reconsidering state, party and society in early republican Turkey : politics of petitioning », International Journal of Middle East Studies, vol. 39, n° 3, 2007, p. 435-457 ; Catherine Alexander, Personal States. Making connections between people and bureaucracy in Turkey, Oxford/New York, Oxford University Press, 2002.
27 — Nathalie Clayer, « Un laiklik imposé ou négocié ? L’administration de l’enseignement de l’islam dans la Turquie du parti unique », in Marc Aymes, Benjamin Gourisse, Élise Massicard (dir.), L’art de l’État en Turquie. Arrangements de l’action publique de la fin de l’Empire ottoman à nos jours, Paris, Karthala, coll. Meydan, 2014, pp. 103-126.
28 — Emmanuel Szurek, Gouverner par les mots. Une histoire linguistique de la Turquie nationaliste, Thèse de doctorat (non publiée), Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2013.
29 — Noémi Levy-Aksu, Ordre et désordres dans l’Istanbul ottomane (1879-1909), Paris, Karthala, coll. Meydan, 2012.
30 — Gilles Dorronsoro, « Les politiques ottomane et républicaine au Kurdistan à partir de la comparaison des milices Hamidiye et korucu : modèles institutionnels, retribalisation et dynamique des conflits », European Journal of Turkish Studies, 5 (2006) : Power, ideology, knowledge - deconstructing Kurdish Studies, URL : http://ejts.revues.org/778, §1 ; Janet Klein, The Margins of empire. Kurdish militias in the Ottoman tribal zone, Stanford, Stanford University Press, 2011.
31 — Hamit Bozarslan, « Le phénomène milicien : une composante de la violence politique en Turquie des années 70 », Turcica, n°31, 1999, pp. 185-244.
32 — Cette partie reprend et synthétise les éléments développés dans Gilles Dorronsoro, Benjamin Gourisse, « Une clés de lecture du politique en Turquie : les rapports État-partis », Politix, 107, 2015.
33 — Pour une étude des activités de pénétration de l’État par les partis pendant les années 1970, voir Benjamin Gourisse, « Party Penetration of the State: the Nationalist Action Party in the late 1970s », in Élise Massicard, Nicole Watts, (dir.), Negotiating Political Power in Turkey: Breaking up the Party, Londres, Routledge, 2012, pp. 118-139.
34 — Pour une étude de cette question appliquée à la police turque dans les années 1970 et à ses conséquences sur les sociabilités internes à l’institution et les pratiques des fonctionnaires, voir : Benjamin Gourisse, « Pluralité des rapports aux normes professionnelles et politisation des pratiques dans la police turque des années 1970 », European Journal of Turkish Studies [Online], 8 | 2008, URL : http://ejts.revues.org/index2273.html (consulté le 8 juin 2013).
35 — Voir notamment Zafer Toprak, Türkiye'de Ekonomi ve Toplum (1908-1950). Milli Iktisat - Milli Burjuvazi (Economie et société en Turquie (1908-1950). Economie nationale, bourgeoisie nationale), Istanbul, Tarih Vakfi Yurt Yayınları, 1995 ; Şevket Pamuk, « Political Economy of Industrialization in Turkey », MERIP Reports, 93, January, 1981.
36 — Ayşe Güneş-Ayata, « Class and Clientelism in the Republican People’s Party » in Andrew Finkel Nükhet Sirman (dir.), Turkish State, Turkish Society, London, Routledge, 1990, pp. 181. Sur les transactions clientélaires unissant partis politiques et acteurs locaux, voir également Ergun Özbudun, «Turkey: the Politics of Clientelism » in Samuel Eisenstadt, René Lemarchand (dir.), Political Clientelism, Patronage and Development, Beverly Hills, Sage, 1981 ; Horst Unbehaun, Klientelismus und Politische Partizipation in der Ländlichen Türkei. Der Kreis Datça 1923-1992 (Clientélisme et participation politique dans la Turquie rurale. Le canton de Datça, 1923-1992), Hambourg, Schriften des Deutschen Orient-Instituts, 1994.
37 — Işıl Erdinç, «AKP Döneminde Sendikal Alanın Yeniden Yapılanması: Hak-İş ve “Ötekiler”»[La reconstruction du champ syndical sous le gouvernement de l'AKP: Hak-İş et "les autres"], Çalışma ve Toplum, Mars, 2014.
38 — Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Seuil, Paris, 2000, pp. 249 et 250.
39 — Tous les postes de l’administration ne sont pas appropriés par les partis de gouvernement. Les procédures de contrôle et de différenciation de certaines administrations (comme l’armée ou la diplomatie), notamment du point de vue de leur recrutement, contrastent ainsi avec la grande ouverture d’autres institutions de fait moins autonomes (comme la police ou l’éducation nationale par exemple).
40 — Benjamin Gourisse, « Participation électorale, pénétration de l’État et violence armée dans la crise politique turque de la seconde moitié des années 1970. Contribution à l’analyse des crises politiques longues », Politix, Vol. 2, n° 98, 2012.
41 — Michel Dobry, Sociologie des crises politiques, Presses de la FNSP, 1986, p. 154.
42 — Benoît Fliche, « Eléments pour une trichologie turque », dans Marie-France Auzépy, Joël Cornette (dir.), Histoire du poil, Paris, Belin, 2011.
43 — Cette capacité de l’armée à assurer son autonomie par le coup d’État a cependant connu de sérieuses limites depuis l’arrivée de l’AKP au pouvoir en 2002. En reprenant à son compte le projet européen du pays, le parti a pu obtenir une marginalisation progressive de l’armée. La vague de réformes liées à la candidature européenne du pays, ainsi que les exigences des bailleurs de fonds internationaux et du Fonds Monétaire International ont fortement contribué à la réduction des positions des militaires dans le système politique. Elles ont encouragé le patronat à prendre ses distances avec l’armée pour soutenir les initiatives réformistes de l’AKP.
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Bibliothèque du Congrès, « Geography of Turkey » [archive], Bibliothèque du Congrès.
http://www.revues-plurielles.org/_uploads/pdf/9_16_17.pdf
François Surbezy, Les Affaires d'Arménie et l'intervention des puissances européennes (de 1894 à 1897), Université de Montpellier.
(tr) Institut des statistiques turques, recensement de 2014.
Statistique Eurostat au 1er janvier 2015. Consulté le 1er janvier 2015.